Cancer : comprendre plutôt que stigmatiser – rendre l’invisible visible

Fermez les yeux et imaginez une personne atteinte de cancer. Que voyez-vous ? Un être pâle, amaigri, peut-être sans cheveux, cloué au lit ? Et maintenant, imaginez une personne guérie – tout est rentré dans l’ordre ? Pas vraiment.

18 décembre 2025
 Cancer : comprendre plutôt que stigmatiser – rendre l’invisible visible

Celles et ceux qui ont traversé la maladie le savent : le cancer ne s’arrête pas au dernier jour de traitement.

Grâce à la diversité des thérapies disponibles, la guérison est aujourd’hui souvent possible, mais la période qui suit la fin des soins – quand les visites médicales s’espacent – se révèle souvent la plus difficile. Reprendre le fil du quotidien, retrouver une vie « normale », implique de surmonter bien des obstacles. Les séquelles physiques et psychologiques peuvent persister des mois, des années, voire toute une vie. Pourtant, beaucoup de ces souffrances demeurent invisibles ou mal comprises par l’entourage.
Aux yeux des autres, la maladie semble s’effacer dès que les traitements cessent et que les signes visibles disparaissent. Elle est reléguée à l’arrière-plan, parfois même niée.

Résultat : de nombreux patients se sentent isolés avec leurs douleurs, leurs peurs et leurs inquiétudes. C’est un constat récurrent, soulignent les psychologues de la Fondation Cancer. Le dialogue avec les patients le confirme : ils et elles n’attendent ni pitié ni traitement de faveur, mais une compréhension sincère – un entourage capable d’empathie, qui reconnaît qu’il faut du temps pour guérir.
 

Pour les patients, il peut être éprouvant de retrouver le quotidien après l’intense accompagnement de la thérapie – d’autant plus quand la compréhension de l’entourage s’amenuise.

Cette phase de transition exige, elle aussi, beaucoup d’attention et de délicatesse.

« Les proches veulent souvent aider – mais après la période intense de la maladie, ils aspirent, eux aussi, à retrouver une certaine normalité », explique l’équipe de psychologues. Il peut alors arriver que l’on choisisse la fuite en avant et que l’on refoule la maladie. Ces stratégies d’évitement relèvent souvent d’un réflexe d’autoprotection – non d’un manque d’empathie.

Dans le même temps, il est essentiel pour les personnes concernées de pouvoir s’exprimer – surtout dans les moments difficiles. Pour l’entourage, trouver les mots justes n’est pas simple. Un excès d’optimisme, lui aussi, peut se révéler contre-productif.
 

Nous connaissons tous la fatigue d’un quotidien stressant.

 Mais l’épuisement né du surmenage ou d’une mauvaise nuit n’a rien à voir avec la fatigue profonde que vivent de nombreux patients après un cancer, et ne doit pas être confondue avec celle-ci. Il est essentiel que les patients fassent preuve de bienveillance envers eux-mêmes.

Les phrases censées réconforter, comme « Tout ira bien » ou « Ce n’est pas si grave », peuvent en réalité accentuer la pression – surtout lorsque les patients se sentent déjà coupables de ne pas encore fonctionner comme avant. « Les patients ne doivent pas avoir l’impression d’être un fardeau pour leurs proches – et pourtant, c’est exactement ce que beaucoup d’entre eux confient », expliquent les psychologues.

Souvent, les personnes concernées ne comprennent pas pourquoi elles se sentent encore si épuisées, longtemps après la fin du traitement. Une fois les soins terminés, beaucoup ressentent le besoin d’aller de l’avant, tout en se demandant : Pourquoi est-ce que je ne vais toujours pas mieux ?
Ce conflit intérieur peut générer une forte pression. Nombreux sont ceux qui minimisent alors leurs symptômes ou doutent d’eux-mêmes, relatent les psychologues. C’est pourquoi il est essentiel que les patients trouvent non seulement du soutien dans leur entourage, mais s’accordent aussi, à eux-mêmes, le temps nécessaire pour guérir. Les signes visibles du cancer ne sont que la partie émergée de l’iceberg : sous la surface subsistent d’innombrables séquelles physiques et psychiques qui continuent d’agir au quotidien.

Même des changements corporels tels que des cicatrices, des altérations de la peau ou une mastectomie demeurent souvent invisibles, tout en bouleversant profondément l’image de soi. S’y ajoutent les épreuves mentales : pour beaucoup, le véritable travail psychique commence après la fin des traitements – lorsque l’urgence s’apaise et que le silence revient. C’est alors que la charge émotionnelle de la maladie se révèle pleinement. Et cette prise de conscience rend le retour à la vie ordinaire d’autant plus difficile.
 

La « positivité toxique » peut devenir un véritable obstacle à la compréhension. Même bien intentionnées, des phrases comme « Ça va aller » ou « Le pire est derrière toi » minimisent la douleur et les inquiétudes.

À la question « Comment vas-tu ? », beaucoup de patients répondent positivement – par crainte de ne pas être compris ou de n’être perçus qu’à travers la maladie.

Même des thérapies moins invasives – comme la thérapie antihormonale – s’accompagnent de nombreux effets indésirables qui compliquent le quotidien

Tanja D’Angelo le sait bien : en décembre 2022, on lui a diagnostiqué un cancer du sein.

Tanja D’Angelo le sait bien : en décembre 2022, on lui a diagnostiqué un cancer du sein. Elle a dû subir une opération, suivie d’une radiothérapie et d’une chimiothérapie. Aujourd’hui, elle est en rémission, mais poursuit un traitement antihormonal pour prévenir une rechute. « Quand j’ai recommencé à travailler, j’ai vite compris que je n’étais pas encore redevenue moi-même », raconte-t-elle. « Pendant des mois, j’ai continué à lutter contre les lourdes séquelles de la chimio et de la radiothérapie. »

Comme beaucoup d’autres patients, elle a souffert de ce qu’on appelle le « chemobrain » – une atteinte cognitive qui peut provoquer des troubles de la mémoire, un ralentissement de la pensée ou des difficultés de concentration. « Ce n’est pas aussi visible que la perte des cheveux, mais c’est tout aussi réel – et tout aussi éprouvant. »

Les psychologues évoquent, eux aussi, des patients pour qui le retour au travail après les traitements s’avère difficile. Beaucoup ont l’impression de devoir sans cesse se justifier. Même les remarques bienveillantes, comme « Tu as meilleure mine » ou « On te trouve plus en forme », peuvent créer une gêne : elles donnent envie de préciser que, malgré les apparences, on ne se sent pas encore totalement opérationnel.

Chaque examen de suivi, chaque revers, peut déclencher un stress psychologique – par la peur d’une rechute.

En décembre 2022, Tanja D’Angelo a reçu un diagnostic de cancer du sein. Après une opération, une radiothérapie et une chimiothérapie, elle est en rémission et poursuit une thérapie antihormonale.

Tanja D’Angelo raconte comment une communication sur un pied d’égalité a fonctionné pour elle : « Ma partenaire me demandait souvent comment je le vivais, ce que je ressentais. Cela m’a beaucoup aidée, car je sentais qu’elle cherchait vraiment à comprendre ma situation et à entrer dans mon univers émotionnel. C’est autre chose que des slogans de bravoure, qui peuvent vite paraître condescendants. »

 

Les proches aussi ont parfois l’impression que leur aide passe inaperçue ou est mal comprise

Il est souvent difficile d’expliquer pourquoi on a encore besoin de pauses ou pourquoi sa résistance physique et mentale reste limitée. Dans le cadre professionnel, cela peut vite susciter des remarques du genre « Tu repars déjà ? » – sans mauvaise intention, mais blessantes malgré tout. Tanja D’Angelo partage ce ressenti : « Je ne veux pas être traitée différemment de mes collègues », affirme-t-elle, « mais j’aimerais que ma situation soit prise au sérieux et reconnue. » Sur le lieu de travail, il manque souvent la sensibilité nécessaire – en partie parce que les séquelles à long terme du cancer sont mal connues.

Cette incompréhension se retrouve aussi dans la sphère privée, parmi les amis ou la famille. De nombreuses personnes continuent longtemps de souffrir d’angoisses et d’une charge psychologique, en raison des effets secondaires persistants et des séquelles tardives du cancer et de ses traitements.Et toutes les formes de traitement ne sont pas visibles de l’extérieur. « Même les traitements considérés comme plus légers, comme la thérapie antihormonale ou la radiothérapie, provoquent des effets secondaires tels que des nausées ou des problèmes de peau », rappellent les psychologues. « Un traitement sans chimiothérapie n’est pas forcément plus facile à vivre. » Aux yeux des proches, les traitements invasifs semblent souvent être la partie la plus difficile. Une fois cette étape franchie, le reste est vite perçu comme « supportable » ou « pas si grave ». Mais cette banalisation est dangereuse.

De telles paroles donnent l’impression que les souffrances actuelles ne comptent plus – ou qu’elles sont exagérées. Résultat : les patients se referment, parlent moins de ce qu’ils vivent, et se sentent invisibles et abandonnés à eux-mêmes.

Il est souvent plus facile pour l’entourage d’assumer des tâches concrètes que de parler des émotions – ou simplement d’être présent et d’écouter.

La liste des séquelles à long terme d’un cancer est longue – et beaucoup d’entre elles restent invisibles : troubles cognitifs, douleurs chroniques et neuropathies, problèmes digestifs, souffrances psychiques telles que la dépression ou l’anxiété, perte de libido ou troubles de la sexualité.

Ces sujets ne devraient pas être tus, mais abordés ouvertement.

Au besoin, le service psychosocial de la Fondation Cancer peut vous accompagner.
 

Les psychologues : « Beaucoup ont l’impression que tout ce qui n’est pas visible de l’extérieur n’existe tout simplement pas »

Une communication ouverte est donc essentielle. Et parfois, il ne faut pas beaucoup de mots – il suffit souvent d’écouter, d’être là, de faire sentir sa présence. Personne ne peut se glisser entièrement dans la situation d’autrui. On peut, en revanche, rester attentif et disponible.

« Bien sûr, c’est éprouvant d’avoir à expliquer sans cesse pourquoi je suis encore fatiguée, à quel point la chimiothérapie a été agressive, ou combien chaque examen de suivi pèse sur moi », dit Tanja D’Angelo. « Mais je ne veux pas me cacher – cela n’y changerait rien. » Elle se sent pourtant très soutenue – au travail, dans son cercle d’amis, au sein de sa famille et dans sa relation. Avec son entourage, elle apprend à apprivoiser ce nouveau quotidien.

Le cancer et ses suites ne sont pas toujours visibles – et varient d’une personne à l’autre. Mais il laisse toujours des traces. Il faut, collectivement, prendre conscience que la maladie ne s’arrête pas au dernier passage à l’hôpital. Personne ne devrait avoir honte ni hésiter à parler des séquelles et à dire ce qu’il traverse. Même après la thérapie, les personnes concernées ont besoin de reconnaissance, de compréhension et d’égards – pas de stigmatisation ni de silence.

Le cancer, comme ses séquelles, reste souvent invisible : il est temps de changer de regard, individuellement comme collectivement.

 

Dans le monde du travail, beaucoup de patients tiennent à ne pas être réduits à leur maladie – par crainte qu’un « traitement de faveur » ne se transforme en désavantage professionnel. S’y ajoutent des sentiments de culpabilité envers les collègues lorsqu’ils n’atteignent pas toujours 100 %. En même temps, ils souhaitent être reconnus comme des personnes qui se débattent avec des séquelles. Cette tension intérieure est difficile à supporter pour beaucoup.

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